Au sein du groupe Moniteur, les «forçats de l’écriture» ne se laissent plus faire

Publié le 1 sep. 2023
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Luttes gagnantes
Refusant leur exclusion du champs des négociations annuelles obligatoires en plein cœur de l’inflation, les journalistes pigistes du groupe Moniteur ont mené six semaines de lutte face à une direction méprisante. Les salarié·es et leur syndicat CGT n’ont rien lâché dans ce combat et ont obtenu une revalorisation de rémunération de 2 %, le 1er juin 2023.

Une précarité structurelle à combattre

Au printemps 2023, la révolte a éclaté à la Gazette des Communes, l’un des titres phares de la vingtaine de journaux qu’exploite le groupe Moniteur. En cause, la question centrale de la rémunération du travail des journalistes pigistes, payé·es à la pièce comme les travailleur·ses du XIXe siècle.

La très grande majorité des journalistes pigistes sont exclu·es du champ des négociations annuelles obligatoires (NAO), et ne bénéficient donc pas des augmentations de rémunération obtenues par les salarié·es en poste. Elles et ils ne reçoivent que 78,80 euros par feuillet (l’unité de mesure pour les textes envoyés, un article comptant entre deux et quatre feuillets), ce qui représente à peine plus d’un Smic pour les pigistes les plus réguliers (une trentaine de journalistes). Revenu obtenu avec un volume de travail très variable, et malgré une expertise importante dans le métier. C’est pourquoi elles et ils doivent également en permanence chercher d’autres sources de revenus, y compris pour d’autres filiales du groupe Infopro Digital, le plus grand groupe de presse professionnelle en France.

Malgré tout, pour la première fois depuis dix ans, elles et ils ont obtenu une augmentation de 3 % en 2022. L’inflation galopante et les excellents résultats financiers de l’entreprise les laissaient espérer une augmentation plus importante pour 2023. Lors d’une réunion organisée par la direction en mars avec tou·tes les pigistes de France, la première depuis la fin de la pandémie, les journalistes ont donc saisi l’occasion pour faire remonter leurs revendications quant à leurs conditions de travail et leur rémunération : de la faiblesse de la rémunération du leur travail produit à l’absence de valorisation de la prime d’ancienneté en passant par la multiplicité des bulletins de paie au sein du même groupe, tout est mis sur la table.

Face au mépris de la direction, les pigistes organisé·es sont entré·es en lutte

C’est donc dans ce contexte que se sont ouverte les négociations annuelles obligatoire, sur un coup de théâtre : non seulement les pigistes sont une nouvelle fois exclu·es du champs des négociation, mais l’augmentation de 5 % n’est accordée qu’aux douze salarié·es au salaires les plus bas.

Les journalistes pigistes ont donc décidé d’agir. Soutenu·es par le syndicat CGT du groupe Moniteur, elles et ils ont d’abord adressé un courrier porté par un collectif ne manquant pas d’humour : les « plumés d’infopro ». Ce courrier rappelait l’ensemble des doléances des journalistes précaires et demandait l’ouverture de négociations salariales. 

Face au silence de la direction, la lutte est montée d’un cran, sous la forme d’une pétition mise en ligne en direction des lecteur·ices du journal – les fonctionnaires des collectivités territoriales. Le tirage du journal – plus de 35 000 exemplaires par semaine – a offert une bonne visibilité à la pétition, qui a récolté plus de 3 000 signatures : un franc succès, auquel la direction ne répondra malheureusement pas.

Par conséquent, les journalistes pigistes se sont mis·es en grève le 24 avril 2023, avec des revendications claires :

  • 10 % de revalorisation salariale par feuillet produit ;
  • application du calcul conventionnel de la prime d’ancienneté pour garantir une revalorisation de celle-ci ;
  • établissement d’un seul bulletin de paie pour tou·tes les pigistes au sein du groupe.

Une victoire qui renforce les équipes

Après plus de six semaines de lutte consécutives, les pigistes en grève ont arraché la victoire. Ne disposant plus d’aucun article en stock, la direction a fini par lâcher 2 % d’augmentation de salaire par feuillet, photographie ou dessin le 1er juin 2023. L’arrêt de travail d’une trentaine de pigistes et la solidarité des autres salarié·es à leur égard ont finalement eu raison de l’autoritarisme d’une direction restée sourde aux demandes légitimes de celles et ceux qui font la richesse du journal.

Les équipes sont sorties renforcées de cette lutte, et avancent désormais en force organisée aux côtés de leur syndicat CGT. En effet, plusieurs journalistes, mensualisé·es ou à la pige, se sont syndiqué·es au cours de la grève. Elles et ils ne seront pas de trop pour les prochains combats qui les attendent.

Cette lutte gagnante permettra à d’autres journalistes précaires d’exiger d’être inclus·es dans les négociations collectives.  En effet, le député Yannick Monnet a interpellé le ministre du Travail et obtenu une réponse rapide de celui-ci à travers une question à l’Assemblée nationale sur le sort des journalistes pigistes, aboutissant à un rappel à l’ordre des employeurs du secteur. Les journalistes pigistes doivent, au même titre que les autres journalistes, bénéficier de l’ensemble des conditions salariales obtenus à l’issue des NAO. L’Inspection du travail est invitée à renforcer les contrôles à ce sujet.

Montreuil, le 31 août 2023

Rédigé par M.A.
 

Repère revendicatif